Living with Charlotte Perriand
Cette fascination de François Laffanour pour le travail de Charlotte Perriand, cette ambition de le partager et de le dĂ©fendre auprĂšs des plus grands collectionneurs a dĂ©butĂ© au MarchĂ© aux puces de Saint-Ouen en 1979 avant quâil ouvre la galerie du 18 rue de Seine, en 1982. Il nâest pas Ă©tonnant de constater dans cet ouvrage que les collectionneurs dâArt contemporain sont Ă©galement les premiers collectionneurs du mobilier de Charlotte Perriand. Ces derniers apprĂ©cient les formes minimales, la subtilitĂ© et la puissance avec lesquelles Charlotte Perriand a su travailler tout au long de sa vie les diffĂ©rents bois qui se retrouvent transformĂ©s en de vĂ©ritables sculptures, comme ces bureaux âen formeâ, rĂ©alisĂ©s en pin au sortir de la guerre.
En sâintĂ©ressant dĂšs le dĂ©but Ă faire redĂ©couvrir les grands crĂ©ateurs des annĂ©es 1950, Ă commencer par Charlotte Perriand et Jean ProuvĂ©, François Laffanour a Ă©tĂ© portĂ© par une intuition et une conviction : il lui fallait les dĂ©fendre, les prĂ©senter et les mettre en scĂšne magistralement et subtilement dans les foires et salons du monde entier afin de convaincre dâabord les collectionneurs les plus exigeants. Ce livre est la preuve que la premiĂšre vertu dâun grand marchand est de transmettre et de valoriser le talent des grands crĂ©ateurs. On ne peut que se fĂ©liciter de voir la variĂ©tĂ© et lâexcellence du travail de Charlotte Perriand dans de si beaux environnements.
Câest Ă travers ce regard sur les diffĂ©rents meubles de Perriand que François Laffanour a su subtilement les prĂ©senter, Ă la galerie pour ses expositions, lors de foires internationales pour des prĂ©sentations Ă©phĂ©mĂšres et qui a Ă©tĂ© repris par ses collectionneurs tout au long de ces annĂ©es.
Maßtres de la Modernité
MalgrĂ© la volontĂ© de lâexposition de 1925 Ă Paris, de dĂ©fendre les arts dĂ©coratifs et industriels modernes, la SociĂ©tĂ© des artistes dĂ©corateurs sâenlise dans la tradition, la Compagnie des Arts Français sâentiche du style Louis-Philippe, Jacques-Emile Ruhlmann rĂ©habilite lâidĂ©e du luxe, il crĂ©e pour lâĂ©lite. Lâopulence et la polychromie sont Ă lâordre du jour. La sociĂ©tĂ© du Salon dâautomne invite les membres du Werkbund allemand en 1910. La modernitĂ© gronde depuis lâĂ©tablissement de cette association en 1907 « pour anoblir le travail industriel dans la coopĂ©ration de lâart, de lâindustrie et de lâartisanat », prolongĂ© par la crĂ©ation de lâĂ©cole du Bauhaus en 1919. Le Corbusier et Ozenfant thĂ©orisent la question de la vie moderne en France en 1920, lorsquâils publient la revue lâEsprit Nouveau, revue rationaliste française de lâArt Constructif International.
Au Salon dâautomne de 1927, Ă la fois contemporaine et moderne, Charlotte Perriand prĂ©sente le « Bar sous le toit », un ensemble influencĂ© par les temps modernes, en acier chromĂ© et aluminium anodisĂ©. La mĂȘme annĂ©e, intĂ©grĂ©e dans lâagence de Le Corbusier, elle reprend le programme thĂ©orique « des casiers, des chaises des tables, lâĂ©quipement de lâhabitation » et expose en 1929 du mobilier Ă©ditĂ© par Thonet, chaque piĂšce porte le sigle Thonet-Le Corbusier-Pierre Jeanneret-Charlotte Perriand. « Ătablir des standards, consiste Ă sâoccuper exclusivement de perfection » lui explique Le Corbusier. Elle apprĂ©cie Pierre Jeanneret, architecte et cousin de Le Corbusier qui lâassiste depuis 1922.
Lors du Salon des Artistes dĂ©corateurs de 1928, Charlotte Perriand, RenĂ© Herbst et Djo-Bourgeois se regroupent pour faire bloc contre la production des « dĂ©corateurs ». Câest en 1929, que se produit la rupture. Jeunes et fougueux, ils prĂŽnent lâemploi du mĂ©tal et dâautres matiĂšres modernes et crĂ©ent lâUnion des artistes Modernes (UAM), union catalysant leurs idĂ©es rĂ©volutionnaires. La premiĂšre exposition du groupe, se tient autour du thĂšme « lâArt moderne, cadre de la vie contemporaine ». Ils se posent en faveur de lâart moderne qui est, pensent-ils « un art vĂ©ritablement social⊠un art pur, accessible Ă tous, et non une imitation faite pour la vanitĂ© de quelques-uns. » Le premier manifeste est publiĂ© tardivement en 1934, la rĂ©daction en est confiĂ©e Ă Louis ChĂ©ronnet, rĂ©dacteur en chef de la revue Art et dĂ©coration, lâart moderne est une rĂ©ponse « à leur volontĂ© de doter lâhomme du XXĂšme siĂšcle dâun cadre raisonnable, câest-Ă -dire capable de donner satisfaction Ă toutes les exigences matĂ©rielles et intellectuelles imposĂ©es par la conjoncture. » Câest dans les rangs de lâUAM que sâĂ©panouit le talent militant de Charlotte Perriand, de Jean ProuvĂ© et de Pierre Jeanneret qui y adhĂšre en 1930.
La libertĂ©, lâaudace, lâindĂ©pendance et la solidaritĂ© caractĂ©risent le trio. Charlotte Perriand quitte lâatelier de Le Corbusier en 1937 et met au point avant de partir en mission de conseil en art industriel au Japon en 1940, un programme de mobilier avec Jean ProuvĂ© et Pierre Jeanneret et le BCC (Bureau central de construction) crĂ©Ă© en 1939 par Georges Blanchon. A son retour elle est chargĂ©e de lâĂ©quipement des premiers hĂŽtels de Meribel-les-Alues, 1946-1949. En osmose avec lâesprit de la vallĂ©e, elle utilise des madriers de sapin pour le mobilier et lâamĂ©nagement intĂ©rieur. AprĂšs la guerre, elle rĂ©alise lâĂ©quipement de la cellule-type de lâUnitĂ© dâhabitation de Le Corbusier Ă Marseille, prĂ©sentĂ©e au salon des arts mĂ©nagers, 1950. Son expĂ©rience et son goĂ»t pour la montagne se manifeste de façon exemplaire dans lâopĂ©ration des Arcs dĂ©marrĂ©e en 1967, elle y consacre 20 ans de sa vie en prĂŽnant « Les loisirs pour tous ».
VĂ©ritable entrepreneur Jean ProuvĂ© dĂ©ploie son art avec volontarisme, homme dâaction plus que de discours, il affirme « ĂȘtre de son temps, sans compromis. » Il expose ses premiers meubles en 1930. Sa rencontre avec les architectes Baudoin et Lods en 1933, lâincite Ă penser une nouvelle façon de faire de lâarchitecture avec une mise en Ćuvre structurelle innovante. En 1939, il dĂ©pose un brevet pour une construction Ă ossature dĂ©montable, pour les unitĂ©s de combat, sa premiĂšre construction Ă portique. Une rĂ©flexion sur les Ă©quipements de loisirs, lie pour la premiĂšre fois, Pierre Jeanneret et Jean ProuvĂ© en 1938. Une collaboration durable sâinstaure entre ces deux esprits pragmatiques, grĂące Ă la commande de constructions dĂ©montables, prĂ©fabriquĂ©es et Ă©quipĂ©es pour la construction en zone libre de lâusine de la SociĂ©tĂ© Centrale des Alliages LĂ©gers (SCAL) Ă Issoire (1939-41). Pierre Jeanneret quitte la France en 1951 pour Chandigarh (Inde), afin de suivre le chantier de la ville administrative et dâen dessiner le mobilier. En 1953, Jean ProuvĂ© complĂšte la rĂ©alisation de tables en forme libre, avec Charlotte Perriand, ainsi que des sĂ©ries de bibliothĂšques, dont le modĂšle « Tunisie ». En 1962, Charlotte Perriand part au BrĂ©sil oĂč elle compose avec des bois indigĂšnes. De rares commandes spĂ©ciales jalonnent son parcours, en 1966 elle Ă©quipe la rĂ©sidence de lâambassadeur du Japon Ă Paris.
Un sillon exemplaire signé Charlotte Perriand, Jean Prouvé et Pierre Jeanneret, une lecture moderne, abstraite et créative à la fois.